LE MUR
Les murs sont compagnons,
Posés toujours qu'ils sont pour le coude et la paume
Et dressés vers les yeux,
Ayant un peu de terre
Où confier leur bonté quand ils en ont excès
Et paraissant avoir prouvé leur innocence
A se trouver dans l'air tout en vivant de noir.
Bien des murs sont tachés
De mousse ou de lichen couleur des vagues
Qui à peine émergés
De l'eau tiède et du sel où vivre prend figure
Laissent de pierre à nu
Aussi gros que la plaie à ne pas trop montrer,
Plutôt chérir quand on est seul.
C'est dans les murs
Que sont les portes
Par où l'on peut entrer
Et par l'une
Arriver.
*
Ils ont affaire à l'air
Pour quelques distractions.
Le vent de mer y passe
En poussant dans le ciel et la chair des garçons,
Y porte feuille ou moucheron
Et la caresse.
Ils ont affaire aussi
A la pluie, aux lessives.
.
Mais le soleil
Est un pouvoir.
Les murs quand ils sont
Hauts,
Surtout ceux qui n'ont pas fenêtres et rideaux,
Qui ont traînées parfois de gris jaune et de noir
Dessous les cheminées,
Sont bons pour être écrans aux visions des passants
Qui n'y trouvent pas forme ni leçon,
Mais soupirail :
Un géant rouge a fait grand signe
Et sur les toits ses pieds vont vite.
C'est au ciel qu'il s'en prend,
C'est à l'été.
Il a du feu entre les bras.
Il a laissé tomber un astre ou un enfant.
Il dit :
Vengeance.
Il se rassoit.
C'était un pauvre.
Il y a du terrible dans le monde
Et ce sera
Un mur à travers champs, contre un prunier,
Auprès de la charrette et ses timons dans l'air,
Sous le soleil qui fait durer l'immensité.
Un mur qui n'aura pu
S'habituer
Et ne croit plus
Réduire l'espace à travers plaines.
*
Voir le dedans des murs
Ne nous est pas donné.
On a beau les casser,
Leur façade est montrée.
Bien sûr que c'est pareil
En nous et dans les murs,
Mais voir
Apaiserait.
Des murs
Sont laids.
Ils n'y auront pas mis
Du leur.
Faits pour cacher,
Pour empêcher,
Amidonnés parfois
De tessons de bouteilles.
—
Ils n'arrêteront pas
Les foules du triomphe.
Parfois les routes
—
Nous y allions pour le plaisir ou le devoir — Étaient bordées de murs.
Ils nous donnaient la verticale,
Du soleil blanc, la route encore
Et du loisir,
Mais ils nous séparaient
De la fraise attardée dans la fraîcheur du bois
Où toucher deux genoux
Qui ont tant de raisons de trembler sous les feuilles.
On ne serait pas tellement plus mal
Devenus le mur au bord de la place
Où les enfants jouent entre des vieillards,
Lui qui de toute la ville ne sait que la colère.
—
On pourrait devenir aussi
Un mur caché par le feuillage, à la campagne,
Pour être heureux.
*
Que peut un mur
Pour un blessé?
Et pourtant
Il en vient toujours dans les batailles
S'y adosser,
Comme si la mort ainsi
Permettait de mourir
Avec plus de loisir
Et quelque liberté.
*
Un homme
Est devenu jaloux des murs,
Et puis, têtu, c'est des racines
Qu'il ne peut plus se démêler.
II assoit à l'écart
Un corps habitué,
Exclut les portes,
Exclut le temps,
Voit dans le noir
Et dit : amour.
Edouard Glissant